dimanche 29 avril 2007

Ode à Delacroix


Que les Temps sont longs, et parfois lointains. Que les beaux Temps du romantisme se sont éparpillés au grès des vents balayant qui ont délié toutes les libertés. Ô liberté, amicale au parfum d’hémoglobine, par la mort, la rage, la haine des peuples châtrés dans leur tendre enfance qui un jour retrouvèrent leur virilité et se levèrent contre le tyrannique monarque qui humilia. Ils expirent ces bonnes exhalaisons de vigueur, la sueur charnelle des femmes, la sagacité de l’enfance qui se mobilise aux cris du père. Pendant que tout le monde criait « Aux armes ! Aux armes » chantaient les cœurs romantiques « O ! armes féroces puisant dans l’ardeur de l’espérance le détournement à l’innommable, par vos bouches si dures, si meurtrières, vous apportâtes aux citoyens le rêve de vivre de la douceur, et de jouir des Temps nouveau qui sont déjà anciens, mais que l’on veut connaître ! Ce n’est plus une envie, admet le ! mais un ordre ! Accepte ou tu mouras, tyran. » Liberté ! quel cri étrange qui sort de l’âme et qui propose à l’esprit le feu que les despotes ont tout le temps camouflé. Liberté es-tu donc Prométhée ? Vaste guerrier, châtié par la virulence de l’autocratie. Enchaîné sur les montagnes de Scythie, l’homme te loue car de toi il possède les Arts, premiers domaines de subversion, et pour rejoindre Camus, la technique qui l’extirpa de sa condition animale. Le despotisme rend l’homme à l’animalité en lui suggérant comme notion civilisatrice l’infecte loi du plus fort.
C’étaient les temps où l’on se baladait à travers les vaux, sur les sentes maculées des feuilles mourantes. En levant la tête au ciel, les yeux admiraient le faîte des arbres, et leurs feuillages sanguinolents étaient comme un cœur impétueux qui bat à l’aune de l’espoir, c’était déjà novembre, et la pluie, toujours présente. Abîmés par l’hiver rigoureux, l’été ne sait cicatriser, les pistes calfeutrées étaient dures comme la répression. L’on se souvenait alors…l’on se souvenait. Les canons qui explosèrent et la brume de poudre noir qui se dissipant laissé apparaître les cadavres de nos frères toujours fidèles au tyran. La folie de cet homme qui sans peine envoya à la mort ses fils, ses « sujets ». Qu’il est insoutenable pour le citoyen de tuer l’autre citoyen sans que ce dernier su, ou vécu, sa liberté. Et la femme alors, si forte, si belle dans la lutte, car elle concevait de ses yeux humides le monde qu’elle laisserait à ses enfants, courant aux côtés de son fils, le sein libre, portant à bout de bras le drapeau de la France nouvelle flottant au souffle des canons qui frisaient les têtes sans jamais effrayer, parce que la mort était la délivrance en cas de défaite, qui s’en soucia ? Et s’il fallait crever contre le tyran nous savions que dans l’éternité de la nation notre sacrifice sonnerait comme le refuge le plus ultime du peuple. La démocratie pour nos enfants serait comme un feu primitif qui chauffa le cœur des premiers hommes, froid et assassin. Dans l’autre main, elle tenait ce fusil, subjuguant les hommes, et au fond de son regard se trouvait la « possibilité » ; celle de déposer le tyran Charles X. Il faut se souvenir des sabres brandis pour affirmer la menace, et dire à celui qui pense ainsi, de sa pure volonté, renoncer à la décision du peuple, que ce dernier n’acceptera plus d’être spolié de ses votes, et que s’exprimer dans l’urne, ou à la main levée, à la demande du tyran bien souvent, ne puisse plus être une mascarade. Il y a dans ces moments, un instant de perte, qui s’éternise parfois, qui glorifie toujours, qui fait voir l’ennemi en rien d’humain, qui fait voir l’ennemi en une barrière liberticide, sur laquelle des piques ingrates blessent celui qui veut passer.
C’était déjà l’automne, froidure de la nuit, et pâle ciel mourant dès l’après-midi à peine consommé, comme une femme qui dépérit au lendemain de la nuit de noce. Alors chaque nuit, il faut redoubler d’effort pour que chaque nuit soit une noce, et que la fatalité de « l’avancée » soit repoussée dans son maximum, et que la femme vieillie semble toujours cette jeune révoltée qui au soir de repos donnait au corps fourbu le réconfort tant de fois espéré. Que c’était bon l’amour, tous là, à jouir, à s’aimer sans s’offusquer que le camarade solitaire admirât la scène se masturbant langoureusement, la révolte est la quintessence du partage, des sens bien sûr.
Que l’on est bien à l’ombre des violences en cette maison de Champrosay, au silence maintenant ; mais tambourine encore en nous la puissance du râle du peuple qui même mourant d’aphasie élançait son cri plus haut que la demeure de Dieu. Il n’est plus, Lui, soit disant tout-puissant, aussi fort que cela. Le tyran, tyran par la grâce de Dieu, vaincu par le peuple enragé de s’être fait trop longtemps tourmenté. Tant de siècles sans aucun progrès, et il croyait encore, le tyran, que le peuple allé se taire, trimer dans les champs, se tuer aux chantiers sans qu’il pût avoir une once de décision sur le peu d’heures dont il pouvait profiter la nuit étant venue ? Ô qu’il était beau Rostropovitch jouant de son divin violoncelle ; il était comme Josué qui de sa trompette brisa les remparts de Jéricho. Jéricho, eût-il des remparts à Jéricho ? Mais Jéricho sonne trop la lutte de la religion contre la vie de l’humain, il faut dire « Homme, entre la ceinture chaste de la prude religion et la licencieuse envie de jouir, qui n’est que la vie, choisis la débauche, choisis de vivre, volontier, car ton seul paradis est ici, dans ta maison, dans le bordel où tu ris et où tu chantes et où tu bois, dans la chambre de ton fils qui dort et qui ne souhaite te voir mourir même si tu lui dis que tu iras au paradis, l’enfant lui, sait qu’ici-bas est sa joie. » Il faut donc repartir en enfance, saisir cette primauté des sens qui rend l’homme à la liberté. La liberté se suffit à elle-même, l’homme doit la pénétrer.
Qu’ils sont beaux tous ces français de toutes classes, tous ces russes trahis par les soviets, ces hongrois mourant aux pieds de leurs immeubles, ces juifs du ghetto de Varsovie s’insurgeant contre le Nazi. Ô liberté, rage révolutionnaire, tu fais battre tant les cœurs, tu immoles sans les tuer toutes ces poitrines que tu touches. Et sache chien despotique, autocrate arrogant, que ta conception du pouvoir n’est pas la nôtre, et que ton rêve de concentré les armes pour faire apparaître ta force, qui n’est que ta faiblesse, sera mué en cauchemar par ceux qui ne souhaitent que de disperser les responsabilités afin que toutes vos tentatives échouent piteusement. Vous êtes là toujours, guettant comme le carnivore, la moindre occasion de dévorer sans faim le peuple, et sans fin, car vous croyez vos pouvoirs éternels. Mais rien ne dure, pas même la liberté du peuple, c’est pour cela que je sais qu’un jour il sera de nouveau aliéné à votre folie, toutefois garde-toi bien de croire que nous sommes fataliste, nous croyons trop au pouvoir de chacun qui mis en commun est plus puissant et plus immortel que vos soudards. Et que si vous êtes des spadassins, cela tombe bien, nous sommes des duellistes à chaque instant prompts à vous humilier.
Qu’elles sont belles les fleurs sur lesquelles nous mourons, quelle fragrance de luxe elles offrent à notre souffrance. Elles sont comme le frais cresson bleu, ô Rimbaud ! Pourquoi ne fusses-tu là pour combattre les sordides sbires de Thiers ; tu eusses harangué nos valeureux…Dans les bruits des champs de batailles étouffés par les cris désespérés, les survivants qui coururent enjambant avec splendeur les corps démantibulés de leurs prédécesseurs, exaltés par tes poèmes, eussent avec magnificence montrés le courage que suppose la soif insatiable d’être libre. Tu étais certes trop jeune, mais ton génie existait déjà. Delacroix guide encore le peuple tu es notre Liberté. La Liberté guidant le peuple ne peut fourvoyer celui-ci…Despote, sache-le !

Tableau: La Liberté guidant le peuple; Eugène Delacroix.