jeudi 26 avril 2007

La littérature (1)

Qu’est-ce que la littérature ? Voilà une question essentielle pour n’importe lequel des plumitifs qui tente de percevoir cet espace qui propose plusieurs portes à ouvrir. Derrière chacune l’attend un monde indéfini, en constante expansion. Cette question renvoie aussi au brillant essai de Sartre qui reste toutefois fastidieux si sa lecture relève avant tout du plaisir, ou d’une envie de culture. Je ne voudrais pas là dire que sa lecture est inutile en dehors de tout dessein visant à l’érudition.
Tout d’abord je tiens à préciser que ces petits textes que je vais livrer n’auront aucune imbrication logique et seront créés sous l’envie, et qu’aucune forme de péremption ne les habitera pour l’unique raison que n’étant pas professionnel du milieu ni professeur dont se serait le centre d’étude, je m’attacherai qu’à ne livrer les réflexions d’un dilettante.
La littérature est généralement admise comme étant l’ensemble des livres qui ont un contenu littéraire, il faut aller plus loin et admettre en littérature l’ensemble des textes écrits qui tend à interpeller l’homme. Dans Les nourritures terrestres de Gide, il y a un poème nommé : Ronde pour adorer ce que j’ai brûlé, dans lequel le narrateur fait une liste des différents domaines s’attachant au livre et par analogie (pas évidente) à la littérature. Cette liste qui peut paraître exhaustive ne l’est pas si l’on consent à la littérature d’être universelle. L’universalité suppose tous les genres dans toutes les époques, et il est évident qu’aujourd’hui nous ne connaissons pas tous les genres littéraires qui eussent existés, et ceux qui vont exister. Cette expression que j’ai utilisé plus haut, en disant que la littérature est l’ensemble des écrits visant à interpeller l’homme, pourrait faire rentrer dans ma notion de la littérature les publicités, et autres slogans politiques et commerciaux. Pour précision, j’entends par interpellation tout texte proposant à l’homme de se grandir dans le règne de la pensée.
Pour en revenir à Sartre, il introduit sa notion de la littérature par : qu’est-ce qu’écrire ? Le premier paradoxe, mais d’une cohérence parfaite, est que lorsque l’on veut parler de littérature, il faut en commencement penser l’écrit. Alors que dans l’imaginaire la littérature est avant tout imagé par le livre et symbolise la lecture. L’écrit y est balayé, l’imaginaire pensant peut-être que le livre se produit de lui-même. Cette première explication peut paraître indélicate, mais elle mérite d’être étayée. Avant toute lecture existe d’abord l’acte d’écriture comme avant toute naissance existe l’acte sexuel. Il faut donc partir du principe simple, qui nous oblige de célébrer la plus merveilleuse des inventions humaines, qui s’imposa sûrement dès qu’une sorte de marché se développa ; j’entends par marché : pratique commerciale : l’écrit n’est autre chose que l’aplatissement de la vie de l’homme dans toute sa longitude. L’on pourrait ensuite, par conjecture, se dire que l’arrivée de la religion et des rois nécessitant une manœuvre historiographique afin d'éxalter les grandes œuvres ont un peu plus poussé l’écrit, avant que celui-ci ne serve à la pensée. Et c’est bien ce dernier point qui nous intéresse. Il serait presque impossible de remonter à la première source écrite qui ne relève que de la pensée, c’est-à-dire que l’écrit est soit œuvre de fiction, soit philosophique, soit instructif. La littérature peut donc se dissocier entre ces trois disciplines. Et peut-être que le mariage des trois tend au génie, dans sa réussite bien entendu. Il est donc frappant de constater que la littérature avance par étape, qu’elle n’est pas le fruit d’un vouloir omnipotent qui eût donné à l’homme le pouvoir de faire germer des écrits. La littérature est intérieure à l’homme d’une certaine manière puisqu’elle ne progresse que par à lui, même si, c’est antagoniste, elle lui survit. Pour cela il faudrait parler de l’aphorisme 208 au titre de : Le livre devenu presque un homme, de Nietzsche dans Humain, trop humain dans lequel le philosophe allemand, en quelques lignes explique ce rapport entre le livre et son auteur, et la prouesse du livre à se perpétuer sans l’homme : « Le lot le plus heureux est échu à l’auteur quand, vieillard, il peut se dire que tout ce qu’il y avait fait en lui d’idées et de sentiments créateurs de vie, fortifiants, éclairants, vit encore dans ses ouvrages, et que lui-même n’est plus que cendre grise, tandis que le feu a été conservé et propagé partout. » Suivant cette phrase de Nietzsche l’on peut affirmer que la littérature n’est pas une essence de l’homme tout comme l’art, ce qu’elle est. Elle n’est que bouleversement dans l’histoire de l’homme est bien souvent l’un oriente l’autre. Si les hommes s’instruisent de génération en génération, gardant ainsi le savoir se transformant suivant l’époque, la littérature elle se place dans l’intemporalité, les écrits se perdent et ressurgissent, l’on ne parle là pas de forme, mais de globalité. Il faut comprendre aussi que la littérature progresse par étape, et que comme toute avancée, elle possède un chemin inverse qu’elle peut emprunter, la littérature peut se perdre en cas de disparition des moyens d’écriture et de lecture dans une société. Le plus important pour la survie de la littérature est donc la possession de signes matérialisant le langage et intelligible à un groupe d’hommes.
La littérature prend naissance dans le besoin impérieux de l’homme d’instruire et de s’instruire, car toute œuvre de fiction, en plus des œuvres philosophiques et purement instructives, tente avant tout de mettre en exergue un sujet, souvent problématique et de le réfléchir, et que celui qui écrit comme celui qui lit peut en tirer une leçon, à adopter ou pas. L’on peut donc affirmer sans peur que la littérature est comme une nourriture pour l’humain, celle de son esprit. Ce tropisme qui anime la littérature vers l’instruction, non pour mener à l’érudition, mais pour permettre à l’homme de se construire, est obtenu par le besoin naturel de comprendre dans son minimum ce qui échappe en général : les rapports humains, le fonctionnement de la nature dans son absolu, les philosophies ontologiques, métaphysiques et artistiques, la compréhension du passé, cela je les appellerai les corrélations humaines et naturelles. Il n’y a que dans le saisissement de ces choses que l’homme peut se grandir. La littérature est donc avant tout un domaine philanthropique qui, à l’instar de la démocratie, permet à son contraire et ennemi de s’y développer en toute normalité. Il faudrait donc entrevoir l’écrit, et plus généralement la littérature au travers de son support symbolique : la bibliothèque, comme le moyen pour l’homme de se mener à la sagesse. Heureusement, la vie n’est pas si simple, et nombre d’écrits ont pour but de mener à tout sauf à la sagesse. La littérature est donc une discipline passive que l’homme doit manipuler est non l’inverse, j’entends par là que l’homme doit la comprendre pour en rejeter ces côtés les plus noirs, tout comme précédemment la démocratie. Ce parallèle entre littérature et démocratie n’est pas anodin, les deux ont pour dessein le même rivage, celui d’offrir la liberté, qui est la notion la plus aimée mais paradoxalement la plus détestée par les hommes, parfois même ceux qui aiment le plus la liberté, par égoïsme, sont ceux qui la restreignent avec le plus de fermeté. Autant il est important dans une démocratie que tous les courants soient représentés, y compris les courants fascistes, autant aucune censure, même la plus évidente, ne peut faire du bien à la littérature bien au contraire. La littérature néfaste doit se détruire par elle-même sans une intervention « légale » de l’homme qui agirait comme un despote omnipotent et qui ne prendrait en considération que ses valeurs morales et sociétales. Il y aurait tout échec dans une société civilisée à interdire un écrit par manque d’arguments pour le détruire, l’on parle là bien entendu des livres que l’on peut dire « dangereux », dont pour marquer l’idée je citerai Mein Kampf. L’interdiction pour annihiler toute subversion, peut-être ne faut-il pas en parler, cela va de soi, c’est un combat.
Après avoir donné à l’écrit sa première et principale valeur, celle de l’instruction, il faut en matérialiser une seconde. L’écrit peut être généré par l’envie de l’individu d’offrir à son prochain un plaisir. La notion du plaisir, ou valeur, est essentielle dans la pérennité de la littérature. Alors il est évident que toute personne écrivant pour ou par plaisir ne peut le faire sans idée d’instruction, l’homme à ce besoin réfractaire, qui est peut-être essentiel à lui, de donner à autrui sa vision du monde, ou des corrélations humaines dont je parlais plus haut. Mais par la suite le lecteur, et surtout celui des siècles futurs, se livrera-t-il à certains écrits pour le simple plaisir de lire. Par la simple passion de la littérature. N’importe lequel des passionnés de littérature sait qu’on lit et relit des textes que l’on n’aime pas simplement parce qu’ils sont des chef-d'œuvres, et que même si le contenu n’inspire pas, la forme, ou la prouesse de l’auteur est attirante. Pour ma part, je citerai Platon, dont les thèses ne m’inspirent pas, mais qui me régale par la finesse de son esprit et son remarquable intellect.
L’instruction et le plaisir. Ces deux mots sonnent comme le seul exutoire de l’homme. Et l’on peut conjecturer sur le fait que s’il existe l’une de ses valeurs sans l’autre, l’existante ne pourrait pas offrir toute sa puissance, et il y aurait comme un manque. La littérature sur ce point peut donc être considéré comme l’art, l’art ne pouvant être autre chose que l’union de ces deux valeurs, sinon l’objet artistique ne serait qu’artisanal, c’est-à-dire : fonctionnel, sinon décoratif. L’on pourrait dès maintenant tomber dans le combat éternel qui bouscule la littérature ; qu’est-ce que le plus important dans l’écrit : l’idée ou l’image ? et Faut-il l’union des deux pour qu’une œuvre soit un chef-d'œuvre ?


Source : Les nourritures terrestres; d’André Gide. Folio n°117.
Qu’est ce que la littérature; de Jean-Paul Sartre. Folio essais n°19.
Humain, trop humain; de friedrich Nietzsche. Hachette littérature coll. Pluriel